De la figuration sur un long-métrage

Une caméra Arri Alexa sur le tournage d'un long-métrage.

La semaine dernière, des amis m’ont partagé une annonce de casting pour un long-métrage qui se tournait pas loin de chez moi. Sans même réfléchir, j’ai immédiatement accepté : l’idée de faire de la figuration dans un long-métrage, accompagné de deux potes, ça me plaisait déjà. Mais en plus se retrouver sur un plateau avec grosse équipe de production derrière et tous les moyens techniques impressionnants comme je les aime, c’est carrément ma passion.

A ce moment là, je n’avais pas beaucoup d’informations : le nom du réalisateur, le titre du film, les dates du tournage et la ville, tout au plus. Rien n’a été spécifié sur notre mission exacte, ni le lieu précis. Ce n’est que le lendemain, la veille du tournage, que nous étions fixés sur notre rôle : il manquait une trentaine de policiers, dans le cadre prestigieux d’une cour d’appel.

Le jour J, nous étions parmi les premiers, Jeff, David et moi-même, avant même le lever du jour devant l’imposant bâtiment judiciaire. Après le passage obligatoire au portique de sécurité, les chargés de figuration nous ont directement dirigés vers un bureau réaménagé en vestiaire, où deux costumières avaient préparé les tenues de policier. L’essayage fut assez chaotique, la pièce et les pantalons étant trop petits ! En effet, plusieurs figurants se sont plaints de ne pas réussir à boutonner leur costume, et ça n’a pas loupé : Jeff et moi n’avons même pas pu fermer notre pantalon au point de déclencher une mini-cellule de crise au sein de l’équipe HMC(*). Cinq minutes plus tard, la sentence tombe : nous garderons nos pantalons civils pour le tournage. Ouf.

*HMC = Habillage, Maquillage, Costumes

Une fois habillés avec la tenue complète pull-gilet-veste-ceinturon-bottes, nous nous sommes positionnés sur le grand escalier intérieur de la cour d’appel en attendant calmement le tournage de nos scènes, d’autres scènes étant tournées au même moment dans une pièce à côté. A ce moment-là, il n’était même pas encore huit heures du matin.

Les minutes et les heures se sont enchaînées, elles ont semblé paradoxalement longues tant l’attente entre les prises paraissaient interminable et si courtes tant l’organisation était millimétrée. Réalisateur, assistants, éclairagiste, perche(wo)man, ingénieur du son… Tout ce monde savait exactement quoi faire dans un professionnalisme qui m’a toujours fasciné.

Bien sûr, les faux policiers n’étaient pas les seuls figurants ce jour-là. Il y avait aussi quelques journalistes, sans doute des magistrats que je n’ai qu’à peine aperçus, et surtout une foule de banlieusards qui jouaient leur propre rôle : des jeunes en colère, impuissants face aux violences policières et agacés par la justice. Sur les scènes tournées le matin, ils scandaient : « On oublie pas ! On pardonne pas ! » Le scénario du film m’a immédiatement fait penser aux affaires Adama Traoré et George Floyd. Quelques heures plus tôt, je ne pensais être qu’un figurant statique dont la présence est quasiment dispensable, et voilà que je me retrouve avec une dizaine de « collègues » improvisés à devoir canaliser une cohue de manifestants à la sortie d’une salle d’audience. Comme un vrai flic, en somme.

Le tournage s’est poursuivi avec un sentiment de confusion qui commençait à grimper en moi. Ce mélange de perfectionnisme et de faible estime de soi qui pousse à se poser trop de questions. « Est-ce qu’on va être raccord ? On s’est placé beaucoup trop différemment par rapport au plan précédent ! » — Sensation partagée par certains figurants, mais nuancée par le gars à côté de moi : avec des plans rapides et serrés, on n’y verra que du feu. Et puis c’est vrai, l’équipe technique ne nous a fait aucune remarque sur ce point. Mais j’ai du mal à rester concentré et je ne peux pas m’empêcher de lancer des sourires nerveux aux jeunes qui passent devant moi, et de mimer un semblant d’autorité avec un enthousiasme déconcertant de malaise. Je suis que figurant, après tout…

Les plans qui ont suivi étaient dans la continuité de la descente des escaliers : notre but était de raccompagner la foule vers la sortie de la cour d’appel. Nos positions étaient toujours aussi chaotiques. Un coup je fermais la marche au milieu, un coup je serrais la rambarde à gauche. Pris dans le mouvement de foule, je fais des boulettes à chaque fois : il n’y avait pas une prise sans que je marche sur les pieds des autres figurants, que je me fasse marcher dessus ou que je manque de trébucher. Et ce qui devait arriver arriva : je rate deux marches et me vautre magistralement. Un vrai sketch.

A l’heure de la pause repas, je pensais pouvoir enfin me reposer après toutes ces émotions matinales et une migraine qui commençait à me guetter. Malheureusement, le bonheur était de courte durée : notre cantine n’était qu’un simple couloir, avec de part et d’autres des chaises dispersées sur une longueur qui semblait infinie. Le repas n’était guère plus réjouissant : des macaronis qui ont réussi la prouesse d’être à la fois froids et cramés, en plus d’être secs, accompagnés d’une compote pour le dessert. Comme beaucoup d’autres personnes, je n’ai même pas fini ma barquette de pâtes, d’autant que mon mal de tête commençait à devenir vraiment handicapant. J’ai somnolé pendant une bonne demi-heure dans le couloir froid, réchauffé par le costume que je n’avais pas quitté. Au final, la pause a duré plus de deux heures, puisque les scènes qui étaient tournées en début d’après-midi ne nécessitaient pas la présence des policiers.

En milieu d’après-midi, le tournage a repris avec le raccord des scènes précédentes : il s’agissait de tourner un début d’émeute. Les jeunes n’y sont pas allés de main morte, faisant ressembler l’entrée de la cour d’appel à un mélange de concert de rap et de pogo. La production a du intervenir à plusieurs reprises : d’abord parce que les jeunes poussaient trop, puis parce que les policiers poussaient trop, et enfin parce que l’ambiance n’était pas assez sérieuse. Des sourires en coin, des gens qui faisaient des snaps en plein tournage, certains faisaient du bruit et n’écoutaient pas les consignes… Une fin de tournage très chaotique, même si certains étaient très impliqués dans leur rôle. L’un d’eux me crie dessus, à quelques centimètres de mon visage « KARIM ! Ils ont tué Karim, enfoirés de condés ! ». Une grande carrière d’acteur s’offre à lui.

Un peu plus d’une heure plus tard, les derniers plans avec les policiers ont été tournés et nous avons pu finir notre journée plus tôt que prévu. Un dernier tour au vestiaire, et nous sommes rentrés après une journée riche en émotions. Sortie du film prévue pour fin 2023 ou début 2024.